mercredi 25 novembre 2009

La Citadelle Obscure…

Tête de taureau tricorne
(dont il manque la corne centrale),
Martigny (Suisse).

LES DÉPOUILLES DE L'ABÎME

Gloire au Maître, Suprême Ordonnateur des Hautes Régions,
qui a étendu sa puissance jusqu'aux rives de ce monde.
 
Total fut l'emprisonnement de Gwair à Kaer Sidhi
par la vengeance de Pwyll et de Pryderi.
 
Personne avant lui n'avait pu pénétrer dans la Cité.
Une lourde chaîne bleue retient le courageux jeune homme
qui chante tristement parmi les dépouilles de l'abîme.
Jusqu'au jugement il sera le barde de la supplique.
Trois fois plein le navire Prytwen, nous y allâmes.
Sauf sept, personne ne revint de Kaer Sidhi.
 
Ne suis-je pas promis à la gloire si mon chant est entendu ?
À Kaer Pedryfan, la citadelle aux quatre enceintes,
ce fut la première parole exprimée du chaudron.
Il est doucement chauffé par l'haleine de neuf filles.
N'est-ce pas le chaudron du Maître de l'Abîme ?
À son sommet sont des cercles de perles.
 
Il ne bout pas la nourriture d'un lâche, ce n'est pas son rôle.
Une épée brillante, homicide, avait été tendue vers lui
et dans la main de Llyminawc elle fut laissée.
Devant la porte de l'enfer, une lampe brûle.
Quand nous allâmes avec Arthur en ses nobles entreprises,
sauf sept, personne ne revint de Kaer Fedwyd, la citadelle des hommes parfaits.
 
Ne suis-je pas promis à la gloire si mon chant est entendu ?
À Kaer Pedryfan, en l'Ile à la Puissante Porte,
où le crépuscule et le jet de nuit se confondent, 
le breuvage était un vin brillant porté devant le cortège. 
Trois fois plein le navire Prytwen nous allâmes sur la mer,
sauf sept, personne ne revint de Kaer Rigor, la citadelle des assemblées royales. 
 
Je ne ferai pas l'éloge des maîtres de littérature,
car loin de Kaer Wydr ils n'ont pu voir les prouesses d'Arthur.
Trois fois vingt centaines d'hommes se tenaient sur les murs
et il était difficile d'approcher les sentinelles.
Trois fois plein le navire Prytwen, nous partîmes avec Arthur.
Sauf sept, personne ne revint de Kaer Kolud, la citadelle obscure. 
 
Je ne ferai pas l'éloge des hommes sans courage.
Ils ne savent pas quel jour le chef arriva,
ni quelle heure d'un jour splendide naquit le maître,
ni quel est l'animal à tête d'argent qui se trouve là.
Quand nous partîmes avec Arthur pour le triste combat,
sauf sept, personne ne revint de Kaer Ochren, la citadelle sur la pente.
Je ne ferai pas l'éloge des hommes aux longs boucliers,
car ils ne savent pas quel jour ni pourquoi, 
ni à quelle heure de ce jour splendide Kwy naquit,
ni qui l'empêcha d'atteindre les rives de la Dewy.
 
Ils ne connaissent pas le bœuf Brych à l'épais bandeau
qui a sept vingtaines de bosses à son cou. 
Quand nous partîmes avec Arthur, ô triste souvenir, 
sauf, sept, personne ne revint de Kaer Fandify, la citadelle des hauteurs.

Taliesin Les Grands Bardes Gallois 

Jean Markale Editions Jean Picollec

taureau tricorne © musée des Alpilles, cliché Fabrice Lepeltier, "L'Oeil et la mémoire"


LES DÉPOUILLES D’ANNOUN
 
À la mémoire du poète
Yves Berthou, (Kaledvoulc’h).
 
Gloire au seul souverain, suprême ordonnateur
Des cieux éblouissants et de la mer profonde ;
Gloire au Maître suprême, universel Seigneur,
Dont le règne s’étend jusqu’aux confins du monde !
Close était la prison où la présomption
De Gwair, fils de Gercin, l’avait précipité :
Au centre du Château des Révolutions
Gisait l’homme vaincu par la fatalité.
De par la volonté de Pwyll et Pryderi,
Nul vivant, avant lui, n’en put franchir l’enceinte…
Et, tandis qu’une lourde chaîne le meurtrit,
Il chante (et chantera), sombrement, sa complainte.
Pour les trésors d’Announ, - funèbrement -, il chante.
Et, jusqu’au dernier jour, continuera son lied,
À moins que l’un de nous, domptant son épouvante,
Ne pénètre à son tour dans Caer Wediwid.
Nous avons, par trois fois, tenté cette aventure :
Par trois fois, enfermés dans les flancs de Pridwen,
Nous partîmes joyeux, vers les terres obscures !…
Sauf sept, nul ne revint de Caer Pedriwen !
Faut-il plus que ce chant pour assurer ma gloire ?
Voici mon premier mot sur le Chaudron sacré ;
Voici mon premier mot : gardez dans vos mémoires
Ce que les Trois Rayons auront pu m’inspirer.
Avec son bord serti de perles, n’est-ce pas
Le mystique chaudron du Seigneur du Trépas ?
Neuf vierges, de leur souffle, échauffent un breuvage
Que ne saurait ravir un homme sans courage :
Llemynaoug, armé d’un glaive étincelant,
Surgira pour punir l’insolent fanfaron
Et, devant le portail du Château du Chaudron,
Le croissant argenté flambera, fulgurant !
Gwair, jusqu’au dernier jour, continuera son lied
Et, lorsque dans Pridwen nous suivîmes Arthur,
Quand notre nef cingla vers le pays obscur,
Sauf sept, nul ne revint de Caer Wediwid !
Faut-il plus que ce chant pour assurer ma gloire ?
Nous avons assailli l’Ile-à-la Forte-Enceinte,
Où crépuscule et nuit, dans leur sauvage étreinte,
Tourbillonnent sans fin, au-dessus des eaux noires.
Par trois fois, dans Pridwen, nous partîmes encor…
Sauf sept, nul n’échappa hors de Caer Rigor !
Je ne veux pas briguer l’hommage du vulgaire
En contant les exploits et la mort du héros :
Pourrait-il contempler, au seuil du Sombre Enclos,
Les prouesses d’Arthur, au glaive de lumière ?
 
Les guerriers se pressaient, muets, sur les courtines,
D’impassibles archers et de calmes veilleurs
Épiaient au sommet des tours adamantines…
Trois fois, avec Arthur, nous allâmes, sans peur…
Sauf sept, nul n’échappa hors de Caer Colur !
 
Je ne veux pas chanter les prouesses d’Arthur,
Afin de recevoir l’hommage du vulgaire…
La foule ne sait pas les raisons et les causes ;
La multitude vile, attachée à la terre,
Ignorera toujours le vrai pourquoi des choses !
Elle ignore le jour et l’heure où parut Cwy,
Et quel dieu l’empêcha d’accéder à Dewy.
 
Lorsqu’il nous enferma dans les flancs de Prydwen,
Sauf sept, nul ne put fuir hors de Caer Ochren !
 
Elle ignore le bœuf sacré du Roi des Nuits,
Porteur du bandeau d’or et du joug à sept nœuds…
Quand, pour le capturer, nous partîmes, joyeux,
Sauf sept, nul ne s’enfuit hors de Caer Wandwy !
Que cette multitude, au cœur lâche et volage,
Épargne à ma chanson son hommage affligeant ;
Elle ignore le jour et l’heure, et son courage
Tremble de rencontrer le monstre au chef d’argent !
De tous ceux que tenta le Cercle Inférieur,
 
Sauf sept, nul ne sortit du Château de la Peur !
 
 
extrait de :
“Le Bûcher du Phénix” 
de André Savoret Ed. Psyché 1933

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