A Loeiz Herrieu (Ar Barz-Labourer)
Au seuil de ce chemin cette voix qui s'élève
C'est la voix du chemin désert, du chemin creux
Où tu venais jadis, enfant chéri du Rêve,
Savourer ta tristesse et tes regrets des cieux.
Je suis le vieux chemin qui va, vient, descend, monte,
Et, flânant, paresseux, n'arrive nulle part,
Qui, n'ayant aucun but n'éprouve nul mécompte
En se trouvant enfin presque au point de départ.
Je suis le chemin creux que nul cordeau n'aligne
Et nul, si ce n'est Dieu, ne connaît mon destin;
Large, je m'abandonne, étroit, je me résigne,
Ici vêtu de bure et là-bas de satin.
Tantôt je suis bordé de hauts talus de terre
Plantés de chênes nains et de saules trapus;
Sous une voûte obscure alors je me resserre
Et l'eau vive jaillit en source des talus.
Vêtu de noir, le merle d'eau siffle en un chêne
Au-dessus du ruisseau qui fuit en sanglotant :
C'est l'étrange concert où l'un chante sa peine,
Et l'autre son bonheur de vivre insouciant.
Et tantôt je gravis les hauteurs qui dominent
Un horizon de mer, de landiers et de champs
Où mes talus poudreux s'effondrent en ruines
Sous l'ardeur d'un soleil aux rayons desséchants.
Mais alors je me baigne en la brise marine
Qui donne sa saveur à mon maigre gazon
Et m'enivre au parfum d'une herbe qui s'obstine
A répandre en tous temps sa fine exhalaison.
N'aimais-tu pas venir dans ces mois où nous sommes,
Enfant qui dédaignais les amis et les jeux,
Rêver dans ce chemin presque ignoré des hommes
Pour son parfum et son aspect religieux?
Aux amis de la paix et de la solitude
Je réserve toujours mon ombre et ma chaleur;
Dans ma paix éternelle et ma sollicitude
J'ai des philtres d'oubli pour charmer la douleur.
De paisibles troupeaux, mes hôtes ordinaires,
Vivent ici des jours sans crainte et sans soucis,
Ignorant les effrois de tant d'hommes qui n'errent
Que pour rentrer le soir plus sombres au logis.
Comme je me souviens de l'époque lointaine…
— Hélas! déjà!... Le temps comme un songe s'enfuit —
Où tu venais ici rêver, jeune âme en peine,
Enfant que le Silence a de tout temps séduit.
Ignorant des penseurs et des philosophies,
A la Cause montant par les créations,
Tu découvrais le Dieu qu'encor tu glorifies,
Malgré les trahisons et les négations.
Curieux, bâtissant tes ingénus systèmes,
Ton esprit inventif se donnait libre cours
Le Rêve et l'Action, usant leurs stratagèmes,
Déjà te disputaient... comme ils l'ont fait toujours.
Car je vois, aujourd'hui que tu reviens encore,
Par les traits amaigris, par les yeux douloureux,
Que ton âme en exil, de désir se dévore,
Que le sort t'a meurtri de ses doigts vigoureux.
Mais puisque te voici, qu'aux lieux de ta jeunesse
Tu reviens affranchi du joug, enfin brisé,
De toi-même nourri, que ta force renaisse,
Que tes bras retrempés tendent l'arc irisé,
Et que ton âme y soit la flèche qui s'élance
Ainsi qu'un astre errant dans le ciel étoilé,
A travers les soleils qui brûlent en silence,
Jusqu'au trône de Dieu dont l'homme est exilé.
/|\ Yves Berthou, (Kaledvoulc’h)
Le Pays qui parle, 1903
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