jeudi 15 janvier 2009

Trois Histoires de Taureau… (+ 2 !)



1) Le Taureau Bleu

Cette charmante histoire a pour cadre les Landes de Lambrun vers Concoret.

Il y avait une fois, au village de Saint-Léry *, près de Mauron, une petite fille nommée Yzole. Yzole é!ait bien malheureuse, car elle avait perdu très tôt sa mère et son père s'était remarié avec une vilaine femme qui la détestait et lui causait beaucoup de tourment. La soupe n'était-elle pas cuite, le lait n'était-il pas écrémé, le pain n'était-il pas levé ? C'était invariablement la faute de la petite Yzole. Le père, homme bon mais faible et sans jugement, croyait tout ce que sa femme lui racontait. Yzole recevait quelques gifles et s'en allait se coucher à l'étable, sans souper.

C'était en effet à l'étable qu'elle couchait, dans la paille, avec les bêtes. Mais Yzole ne s'en plaignait pas, car son seul ami était un taureau bleu, grand et fort, très vieux déjà. Chaque fois que la petite fille arrivait en pleurant et se jetait sur la paille, le taureau bleu se penchait sur elle : elle sentait son souffle chaud sécher ses larmes et elle entendait le taureau bleu lui murmurer :

- Yzole ! Yzole ! Ne pleure pas ! Regarde plutôt dans mon oreille, tu y trouveras du pain beurré...

Et la petite fille regardait dans l'oreille du taureau bleu. Et dans l'oreille du taureau bleu, il y avait toujours du pain beurré. Yzole dévorait le pain, remerciait le taureau bleu, lui caressait son échine soyeuse et puis s'endormait, les bras serrés autour du cou de l'animal.

Or, un jour, tandis qu'elle lavait le linge dans le ruisseau, derrière la ferme, Yzole entendit sa marâtre qui discutait avec un voisin. Pendant la discussion Yzole comprit ces mots :

- Demain matin, nous tuerons le taureau bleu, il est maintenant trop vieux et bon à rien…

Yzole lâcha le linge qu'elle tenait, tant elle fut terrifiée par ces paroles. On allait tuer le taureau bleu, son seul ami... Des larmes coulèrent le long de ses joues. Mais il fallait faire quelque chose : elle se faufila dans l'étable en prenant grand soin de n'être pas vue. Le taureau bleu était là, couché sur la paille mêlée d'ajoncs et de fougères. Il ruminait paisiblement.

- Taureau bleu ! Mon taureau bleu ! s'écria la petite fille, on veut te tuer demain matin car on trouve que tu n'est plus bon à rien !

Le taureau bleu continua à ruminer.

- Taureau bleu ! Mon taureau bleu ! s'écria encore Yzole, il nous faut fuir ! je te sauverai, je t'emmenerai !

Le taureau bleu répondit :

- Oui, nous partirons, mais tout a l'heure, quand tu nous auras menés en champ. Ne t'inquiète pas et ne pleure pas…

La petite fille revînt à son linge, mais ce fut sans entrain qu'elle reprit son travail. Enfin vint le moment où elle devait conduire les bêtes en champ. Yzole rassembla son troupeau et se dirigea vers le grand pré, en bordure de la Doueff. Là, elle fit sortir le taureau bleu dans un chemin creux, abandonnant les vaches qui broutaient et ne s'étaient aperçues de rien.

Mais où aller ? vers Mauron ? Ce n'était pas possible, on les retrouverait tout de suite. Vers Gaël ? Yzole ne connaissait pas le chemin. Vers Concoret ? Là aussi, on les retrouverait sûrement. Il ne restait plus que la forêt, au Sud, mais Yzole avait peur de la forêt.

- Ne t'inquiète pas, dit le taureau bleu. Allons dans la forêt et je te protégerai…

Ils partirent à travers les chemins creux et les prairies, franchissant les haies d'aubépines et d'ajoncs. Ils arrivèrent au Haligan sans rencontrer personne et évitèrent les maisons du hameau. Puis ils pénétrèrent dans la forêt par une lande parsemée de pins où chantaient de beaux oiseaux. Au bout de la lande, il y avait un bois touffu et un petit sentier qui s'engageait à travers les arbres. Et tous les arbres de ce bois avaient des feuilles de cuivre.

Prends garde, dit le taureau bleu. Ne touche pas ces feuilles, car si l'une d'elles vient à tomber, il nous arrivera malheur !
La petite fille suivit le taureau bleu dans l'étroit sentier. Il faisait sombre, on n'entendait ni chants d'oiseaux ni bourdonnements d'insectes. Yzole fit bien attention de ne pas frôler les branches et tous deux sortirent du bois sans encombre.

- Je suis fatiguée, murmura la petite fille.

- Viens sur mon dos, dit le taureau bleu.

La petite fille monta sur le dos du taureau bleu. Ils continuèrent leur route à travers des landes désertiques. Ils passèrent devant la fontaine de Barenton et s'arrêtèrent un instant pour boire l'eau qui sourdait sous le perron de granit. Le soir tombait et une lumière très rouge irisait les arbres tout autour. Les oiseaux chantaient follement pour saluer Yzole et son ami le taureau bleu. Ils arrivèrent alors devant un bois profond dans lequel s'ouvrait un sentier très étroit et tortueux. Les arbres avaient des feuilles d'argent qui scintillaient sous les derniers rayons du jour. Le taureau bleu fit descendre la petite fille.

Suis-moi, dit-il, et prends garde de ne toucher aucune de ces feuilles, car si l'une venait à tomber, il nous arriverait malheur...
Ils traversèrent le bois sans encombre, mais au dernier arbre, la petite fille, toute heureuse de retrouver un large espace, heurta l'une des feuilles d'argent qui tomba sur le sol. Aussitôt, des bruits étranges se firent entendre au fond des taillis et d'affreuses bêtes velues comme des araignées surgirent.

- Ecarte-toi ! cria le taureau bleu.

Et de ses sabots, il martela le sol longtemps, longtemps, tant et si bien qu'il écrasa toutes les vilaines bêtes.

- Mon pauvre taureau bleu, dit la petite fille, tu dois être bien fatigué…

- Ce n'est rien, dit le taureau bleu. Continuons notre route.

Ils repartirent dans le crépuscule. La lune se levait déjà. Ils dépassèrent Pertuis-Néanti et les maisons de Fermu, toutes closes de sommeil et de silence. Sous les éclats froids de la lune, au fond d'un ravin, ils virent un bois avec un petit sentier, et les arbres de ce bois avaient des feuilles en or, ruisselantes de lumière.

- Prends garde, dit le taureau bleu. Ne touche pas à ces feuilles, sinon il nous arrivera malheur…

Ils s'engagèrent sur le sentier. Au-dessus d'eux une voûte merveilleuse jetait des feux de toutes couleurs. La petite fille était si émerveillée qu'au sortir du bois, elle ne put résister à l'envie de toucher à l'une de ces feuilles. Mais la feuille tomba sur le sol avec un bruit sourd. A ce bruit, dans les entrailles du bois, répondirent des rugissements, et trois, ou quatre lions surgirent de chaque côté.

- Yzole poussa un cri de terreur, mais déjà le taureau bleu fonçait, cornes en avant. Il abattit un lion, puis deux, puis trois, et toute la forêt retentit des hurlements des lions frappés à mort. Cependant, le quatrième fut plus difficile à vaincre et ce ne fut que bien longtemps après que le taureau bleu put pousser un mugissement de triomphe. Mais dans quel état était-il ? Ruisselant de sang, la respiration haletante, il avait reçu tant de coups qu'il n'avait plus de forces. Il s'effondra aux pieds de la petite fille.

- Taureau bleu ! Mon taureau bleu ! s'écria Yzole. Qu'allons-nous devenir ?

Le taureau bleu leva sa tête vers Yzole et murmura doucement, très doucement en la regardant de ses yeux tristes :

- Ce n'est rien, ce n'est rien, je vais seulement mourir…

Yzole éclata en sanglots et mit ses bras autour du cou du taureau bleu.

- Mais je ne veux pas que tu meures, mon taureau bleu…

- Ne t'inquiète pas, dit le taureau bleu. Tu mettras sur moi de la terre et des pierres bleues comme on en trouve dans la forêt, et tu te souviendras de l'endroit où nous sommes… Chaque fois que tu auras besoin de quelque chose, tu viendras ici, sur ma tombe et tu me le demanderas.
Et tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai… N'aie pas peur, petite fille, toi qui m'as donné ton amitié… Reviens ici chaque fois que tu auras besoin de moi…

L'étoile du berger était basse à l'horizon quand mourut le taureau bleu. La petite fille en larmes mit de la terre et des pierres bleues sur le pauvre taureau bleu, à la sortie du ravin où les arbres avaient des feuilles d'or. L'aube pointait de l'autre côté de la forêt, très blanche. La petite fille reprit son chemin, le coeur gros, son chemin qui menait vers la vallée.

Le conte dit qu'Yzole fut recueillie dans le bourg de Tréhorenteuc par un pauvre fermier du nom de Mahévas.

Du jour où il recueillit la petite fille, rien ne lui manqua, ni vêtement, ni vaisselle, ni moissons, et il devint le plus riche de tout le pays et il aima Yzole comme sa fille et Yzole aima Mahévas comme son père.

Mais certains disent que les nuits de pleine lune, ceux qui reviennent de la forêt, la hache sur l'épaule, aperçoivent parfois une petite fille à genoux sur des pierres bleues, à l'orée d'un bois trè sombre. Et cette petite fille murmure :

- Taureau bleu ! Mon taureau bleu !…

Extrait de :
Contes et Légendes de Brocéliande
Jean Markale

Également cité dans les ouvrages suivant :

Contes populaires de toutes les Bretagne
Jean Markale
Édition Ouest-France, 1993
Pages 143-149

Contes et légendes de Brocéliande
Le Carrefour de Trécélien
Terre de Brume 2002 - Page 187

Contes et Légendes de Brocéliande
Claudine Glot et Marie Tanneux
Édition Ouest-France - Page 182.

Sites où cette histoire est citée :

Note :

  • Léry : ermite originaire de Vannes, au VIIème siècle, disciple de saint Méen. Il fonda un monastère près de Mauron, à l'actuel Saint-Léry, en Morbihan, dont l'église contient le sarcophage. Fête le 30 septembre.


2) L’Histoire du Pain

Il était une fois un homme et une femme. L'un et l'autre étaient veufs. Ils n'avaient plus d'amour, ils avaient eu leur lot. L'homme avait un garçon. Il gardait les troupeaux sur la montagne verte. La femme avait trois filles. Elles aidaient au ménage. Un jour, comme ils déjeunaient, le fils dit à son père :

- Un taureau noir est né cette nuit à l'étable. J'aimerais qu'il soit mien.

L'homme lui répondit :

- Je te le donne, fils.

La femme ronchonna. « Ce garçon, pensa-t-elle, peu à peu prendra tout. Que nous restera-t-il, à mes filles, à moi même ? La paille de la niche ! Ah, s'il pouvait mourir, je pleurerais d'un oeil mais je rirais de l'autre. » Le lendemain matin, quand le fils de son homme fit son sac pour la journée :

- Je n'ai pas eu le temps de cuire ton repas, lui dit-elle.

Va-t'en, tu mangeras plus tard.

Vers l'heure de midi elle aplatit entre deux torchons une galette de cendres, appela son aînée :

- Prends ce pain gris, petite, et va donc le porter au fils de mon mari.

La fille s'en alla. Au même instant dans la montagne le garçon sommeillait près de son taurillon. La bête remua son flanc d'un coup de front et dit à voix humaine :

- Maître, on veut te voir mourir. Sais-tu quel déjeuner s'en vient par le chemin ? De la cendre en galette. Tourne ma corne gauche.
Le garçon prit la corne, la dévissa d'un tour. Aussitôt sur l'herbe du pré apparut une table abondamment pourvue de viandes, de gâteaux et de vin en carafe. Il s'en remplit le ventre. La fille n'en vit rien. Comme elle grimpait au pâturage elle se sentit lasse. Elle s'allongea sous un arbre, s'endormit un moment. Quand elle se réveilla, c'était le crépuscule. Elle jeta la galette dans un buisson et revint à la ferme par le sentier pentu.

Le lendemain matin, même chanson.

La femme fit du vent avec son grand balai. Le garçon s'en alla à la montagne verte sans avoir déjeuné. Il attendit midi.

- Prends ce pain gris, petite, et va donc le porter au fils de mon mari, dit la mauvaise femme à sa deuxième fille.
Et dans le pré du mont :

- Tourne ma corne gauche, dit le jeune taureau à son maître affamé.

La fille s'endormit, elle aussi, en chemin. Quand elle s'éveilla (c'était le crépuscule) elle jeta son pain de cendre par-dessus son épaule et s'en revint trottant sous le ciel traversé d'hirondelles.

Au troisième matin :

- Prends ce pain gris, petite, et va donc le porter au fils de mon mari, dit la mauvaise femme à sa troisième fille.
Cette cadette-là était comme une eau vive. Elle n'eut pas sommeil en route. Elle trouva le garçon, dans l'air fringant du pâturage, les joues gonflées de viande et la cruche à la main, vit le jeune taureau couché près de son maître, flaira quelque magie, s'en retourna en hâte et alerta sa mère. Le soir, quand le mari revint du travail, il trouva sa femme toute dolente au bord de l'âtre.

- Je suis malade, lui dit-elle, et le docteur m'a dit qu'il me faudra manger le coeur d'un taureau jeune. Sinon, adieu, je meurs.

- Bon. Nous sacrifierons celui de mon garçon, répondit le bonhomme.
Au même instant son fils entrait dans la cour de la ferme.

- Ton père nous attend avec un grand couteau, lui dit le taurillon. C'est à moi qu'il en veut. Saute donc sur mon dos et sauvons-nous ensemble.
Le garçon vit sortir son père sur le seuil armé d'un poignard nu. Il bondit sur sa bête, prit à deux bras son encolure noire, contre elle se serra, et son taureau s'en fut au grand galop dans la nuit étoilée.

Jusqu'à l'aube ils cheminèrent droit devant, en grande hâte. Quand le soleil parut au fond de l'horizon, ils firent halte. Ils étaient parvenus dans un champ infini.

- Tourne ma corne gauche et déjeune, mon maître, dit le jeune taureau. Après quoi j'irai paître.

Le garçon déjeuna puis s'allongea dans l'herbe, à l'ombre d'un rocher. Comme il rêvait ainsi, les yeux perdus au ciel, il vit venir un aigle prodigieux. Ses ailes battantes firent lever une bourrasque sur les avoines du pré. Il se posa à la cime du roc, et le vent s'apaisa.

- Où est ton taurillon, garçon ? demanda l'oiseau, à voix humaine.

- Il est à la pâture.

- Quand il reviendra, dis-lui que je l'attends au bord du lac de lait. Mon bec contre son front il nous faudra combattre. Ayant ainsi parlé, l'aigle s'en retourna au ciel.

- Taureau, mon beau taureau, dit à son compagnon le garçon assis dans l'herbe, quand ils se retrouvèrent, tu dois aller combattre au bord du lac de lait.

- J'irai, je reviendrai, répondit le taureau.
Il y fut, il revint. Une nouvelle nuit la bête et le garçon coururent la terre sans chemins, droit devant. A l'aube, ils se virent au pied d'une haute montagne. Le taureau s'en fut paître dans des prairies brumeuses. Le garçon s'allongea au bord d'une cascade, vit un aigle nouveau descendre des nuages.

- Où est ton taurillon, garçon ?

- A la pâture.

- Je l'attends tout à l'heure au bord du lac de lait. Mon bec contre son front il nous faudra combattre.

Quand le taureau revint :

- J'irai, je reviendrai. Ne t'inquiète de rien, mon bon maître, dit-il.

Il y fut, il revint, et l'un chevauchant l'autre une nuit sans étoiles encore ils cheminèrent. Parvenus au matin à la lisière d'une forêt :

- Maître, dit le taureau, aujourd'hui est un jour difficile. Je dois livrer combat au troisième des aigles. Je n'en reviendrai pas. Quand tu me verras mort, arrache ma corne gauche et prends-la avec toi. Traverse la forêt. Tu parviendras bientôt dans une grande plaine. Alors tu poseras la corne sur l'herbe, et tu la briseras. As-tu bien tout compris ? Prends soin d'agir exactement comme j'ai dit. Adieu, garçon. Le taureau s'en alla, tristement, le front bas. Au soir le garçon s'en fut au bord du lac de lait. Il vit son compagnon couché mort sur la rive. Il arracha sa corne gauche et partit en pleurant.

Il chemina longtemps dans la forêt sans voir le bleu du ciel, tant elle était épaisse. Il finit par s'y perdre. Épuisé, seul au monde, espérant un miracle, il s'assit sous un arbre, posa la corne sur le sol et d'un coup de caillou il la fendit en deux. Aussitôt en sortirent en troupe bondissante des milliers de moutons, de vaches, de volailles qui partout se dispersèrent dans le sous-bois. « Malheur, pensa le garçon voyant ses bêtes fuir, comment les rassembler et les mener à la plaine ? Par ces ronciers, ces taillis, ces broussailles, je vais les perdre toutes ! » Il se sentit soudain si démuni qu'il se prit à gémir et à maudire la vie. Alors il vit sortir un énorme serpent d'un tas de feuilles mortes. Le monstre dressa la tête devant lui et dit :

- Pourquoi te plains-tu ?

- Mon bétail est perdu, répondit le garçon.

- Écoute, siffla l'autre. Je peux le rassembler et le mener hors de cette forêt. Mais si je fais cela, tu ne devras jamais aimer aucune femme, sinon tu seras tout à moi, de corps autant que d'âme. Ce marché te plaît-il ?

- Non, il ne me plaît pas, répondit le garçon. Mais je t'obéirai, et je tiendrai parole.

Le monstre le mena hors du bois, dans la plaine. Ses bêtes le suivirent. Des enclos, des étables, une maison enfin, ornée de quatre tours, furent bientôt bâtis, et la fortune vint au jeune aventureux.

Un jour qu'il recevait des amis à sa table :

- Tu devrais prendre femme, lui dit un compagnon.

Tous les convives l'approuvèrent. Le garçon répondit :

- Hélas, je ne peux pas.

Il conta son histoire et la promesse faite au grand serpent.

Les autres l'écoutèrent, puis ils dirent :

- N'aie pas peur. Marie-toi. Nous viendrons tous armés. Si ce maudit serpent vient troubler la fête, nous livrerons bataille et nous lui fendrons la tête.
Le garçon se choisit l'épouse qu'il voulait. Depuis longtemps déjà il aimait d'amour fou sa voisine, en secret. Vint le jour de la noce. On dressa dans la cour des tonneaux et des tables. A l'instant où chacun levait son verre en criant des vivats, le serpent apparut derrière les mariés. Il se glissa entre eux. Les amis du garçon restèrent ébahis tant le monstre paraissait féroce. Aucun n'osa porter la main à son couteau. Alors un pain doré sortit de la corbeille au milieu de la table et dit, parlant soudain comme une tête d'homme :

- Que nous veux-tu, serpent ?

- Je veux le marié, répondit la bête.

- Que lui reproches-tu ?

- Il a conclu un pacte avec moi. Il m'a fait le serment de ne point prendre femme, si je l'aidais. Je l'ai aidé. Il m'a trahi. Je demande justice.

- A-t-il donc pour cela mérité la mort ? lui dit le pain. T'a-t-il fait quelque mal ? Même pas. Moi je sais ce que c'est de souffrir sans rien dire. On m'a enfoui dans la terre. J'en suis sorti. J'ai grandi seul. Le soleil m'a brûlé, m'a rôti, m'a mûri. Puis on m'a moissonné à grands coups de faux. On m'a lié en gerbes. On a jeté ma paille, on a gardé mon grain. On m'a brisé, moulu, réduit en farine. On m'a pétri enfin, puis on m'a mis au four. J'ai connu la brûlure du feu et l'effroi des ténèbres. Et tout cela je l'ai souffert pour devenir ce pain que tu vois sur la nappe. Oui, j'ai tout supporté pour devenir celui qui nourrit les vivants. Serpent, fais-en autant, et nous pourrons parler ensemble de justice.

A peine ces paroles dites, la tête du serpent s'abattit sur la table et son corps se fendit. Le mariage se fit. Je le sais, j'y étais. On dansa bien huit jours avant que je ne parte. Peut-être y danse-t-on encore.

Extrait de :
L'Arbre d'Amour et de Sagesse
Henri Gougaud
Éditions SEUIL – 1992 & 1997

3) Le Mythe d’Esus et de Tarvos

Il y a longtemps, le monde était encore jeune, un événement merveilleux se produisit.

Au début du printemps, à la source de Coventina, un magnifique taureau naquit.

Dés le premier regard, on pouvait apercevoir qu’il n’était pas un taureau ordinaire. Son pelage était d’or et son corps parfait, ses yeux étaient clair, brillant et intelligent.

Le taureau n’était pas encore debout et entrain de courir, de jouer, que trois majestueuses grues descendirent du ciel. Elles dansèrent autour de lui, émerveillées devant sa beauté et son énergie. Le taureau aussi était content. Il aimait ses nouveaux amis qui pouvaient chanter et danser et voler. Il était respectueux envers eux et baissa la tête sachant qu’elles venaient de notre Père le Grand Ciel bleu. Alors que le printemps devenait été, le taureau grandi extrêmement vite et atteignit sa taille adulte. Jamais un taureau comme celui-ci ne fut. Sa renommée atteignit de lointaine frontière. Animaux, hommes et dieux venaient pour admirer sa beauté. Les grues étaient ses compagnes, tout le temps avec lui ; de ce fait, le taureau fut nommé Tarvos Trigaranus (le taureau aux trois grues). Les jours étaient d’une joie à n’en plus finir. Le monde brillait de beauté et était recouvert de fleurs. Aussi loin que remonte le temps, le monde n’avait jamais connu l’Hiver. Il y avait un Dieu chasseur nommée Esus. Il errait dans les champs et les forêts à la recherche d’une proie à son égal, mais il n’en trouva aucune qui pouvait le satisfaire. Un beau matin, par hasard, il se retrouva dans le champs où Tarvos et ses trois compagnes étaient entrain de dormir. Un seul coup d’œil au taureau et Esus savait que ses recherches prenaient fin. Il tira son épée et mit Tarvos en garde.

Le Taureau se leva, près à se battre. Ses cornes faisaient de redoutables armes. Esus le Dieu et Tarvos le taureau divin se jetèrent au combat. Ils combattirent toute la journée, toute la nuit, mais aucun ne semblait vaincre l’autre. Le combat dura pendant des jours. Puis, à la nuit de la nouvelle lune, le taureau commença à faiblir. Ce fut à ce moment, en dessous du grand chêne, que Esus donna à Tarvos le coup fatal. Le sang de Tarvos se répandit sur les racines de l’arbre et à cet instant, les feuilles devenaient rouge doré, en signe de honte et de tristesse. Les grues poussèrent un cri d’agonie. L’une d’elles, à l’aide d’une coupelle, alla ramasser un peu du sang de Tarvos. Puis, toutes les trois, partirent vers le sud. Les ténèbres descendirent sur le monde. Les fleurs flétrissaient, les arbres perdirent leur feuilles. Le soleil se retira, emportant avec lui sa chaleur. Le monde devint sombre et froid et la neige tomba pour la première fois. Tous les hommes et animaux prièrent la Mère la terre pour qu’elle rapporte la chaleur et la lumière sinon tout finirait par périr. Elle les entendit et, pris de pitié, fit revenir la lumière. Les trois grues s’en revenaient du sud et l’une d’elle avait toujours la coupelle contenant le sang de Tarvos. Elle vola vers le Grand chêne où Tarvos le divin péri. Elle déposa le sang sur le sol. Soudain, de la poussière, jaillit un jeune taureau, cadeau de la Mère la terre. Toute la nature explosa de joie et de bonheur. Le soleil fut de retour amenant sa chaleur sur le monde. L’herbe et les fleurs bourgeonnèrent. Ainsi revint le printemps. Avec le temps, Esus le dieu chasseur entendit la nouvelle de la renaissance du taureau divin, et parti à sa recherche. Ce fut le début d’un cycle, qui même aujourd’hui persiste. Esus, le Dieu chasseur, finit toujours par battre Tarvos le divin. Et Tarvos le divin renaît à chaque fois grâce à notre Mère la terre. Et c’est ainsi avec le reste de la nature. Le printemps apporte la vie ; l’été la rend forte ; l’automne l’affaiblit ; et l’hiver apporte la mort. Nous pouvons ni contrôler, ni changer ce cycle ; mais nous pouvons apprendre à le comprendre et à travailler avec celui-ci.

Respectez-le et il vous aidera dans votre quête.

@Traduction de Morgause
Coven the Willow Heart


Le Taureau aux Trois Grues

Le Pilier des Nautes





Le Pilier des Nautes de Lutèce
Astronomie, mythologie et fêtes celtiques, par Bernard Jacomin

Le musée des Thermes de Cluny conserve actuellement les vestiges du pilier des nautes de Lutèce datés de la première moitié du premier siècle après J.C. Ce monument emblématique est formé de quatre blocs de pierre sculptés. Considéré comme « la pierre de Rosette » de la religion gauloise, il est resté longtemps indéchiffrable. Certaines scènes sculptées représentent des divinités celtiques et d’autres des divinités romaines. Comment décrypter le sens de ces figures mythologiques pour en donner une lecture cohérente malgré l’état incomplet du monument ? C’est ce que propose cette étude passionnante qui se réfère au calendrier gaulois de Coligny et aux fêtes celtiques, à partir de repérages astronomiques saisonniers. Elle confirme ainsi la remarque de Jules César : « Les druides se livrent à de nombreuses spéculations sur les astres et leurs mouvements ».

L'auteur : Après des études d'Arts Plastiques et d'Architecture Paysagère, Bernard Jacomin a exercé son activité au sein de la Direction du Patrimoine et de l'Architecture de la Mairie de Paris. Passionné d'Archéologie, il a déjà publié "Les Sources de la Seine".

Sites sur
le Culte de Mithra


Nandin le Taureau de Shiva



Mythologie du Taureau
:



Le Nilgai ou Taureau Bleu (en anglais) contes-et-merveilles.com a dit… « sans doute serait-il intéressant de prendre en compte la "tradition orale populaire" qui nous a légué d'autres versions de ce conte, ainsi que l'attestent ces deux versions ».

La suite dans le(s) commentaire(s), dont je vous recommande vivement la lecture !

1 commentaire:

contes-et-merveilles.com a dit…

sans doute serait-il intéressant de prendre en compte la "tradition orale populaire" qui nous a légué d'autres versions de ce conte, ainsi que l'attestent ces 2 versions :

version de Saint-Cast, rapportée par SEBILLOT
(cette version se prolonge par le conte type de la classification internationale Aarne & Thompson N° 0510 B, peau d'âne)
Conté à Saint-Cast, par Jean-Marie HERVE, de Pluduno (Côtes-du-Nord), âgé de 13 ans
Publié par Paul SEBILLOT, in "Contes populaires de la Haute-Bretagne-1-les contes merveilleux".1880
réédition chez Terre De Brume.1998,N° 3, page 31

II y avait une fois une jeune fille qui perdit sa mère en naissant ; son père qui s'ennuyait d'être veuf avait besoin d'une ménagère pour tenir sa maison se remaria et, comme cela arrive souvent, sa seconde femme prit en haine l'enfant de son mari. Elle lui faisait tout le mal qu'elle pouvait, l'habillait comme une pauvresse et lui donnait à peine de quoi ne pas mourir de faim.
Tous les jours elle l'envoyait aux champs garder le troupeau de la maison, où il y avait plusieurs vaches et un taureau bleu. Un matin qu'elle pleurait plus fort que de coutume en songeant à son malheureux sort, le taureau s'approcha tout doucement d'elle, et lui demanda pourquoi elle se désolait ainsi :
- Hélas ! répondit-elle, je n'en ai que trop sujet : sans doute ma belle-mère veut que je meure de faim ; car ce qu'elle me donne à manger ne nourrirait pas un enfant de quatre ans.
- Fourre la main dans mon oreille, dit le Taureau en penchant la tête, et tu y trouveras de quoi soulager ta peine.
La jeune fille obéit, et elle tira de l'oreille du taureau un morceau de pain beurré qu'elle se mit à manger de grand appétit, et toutes les fois qu'elle avait faim, elle allait à son taureau et trouvait toujours du pain et du beurre dans son oreille.
Quand la méchante femme vit que sa belle-fille ne paraissait pas souffrir de la faim, et qu'elle semblait mieux portante et plus fraîche que jamais, elle pensa que quelqu'un donnait en cachette de la nourriture à la jeune fille. Elle se cacha pour l'épier dans une touffe d'arbres auprès du champ où paissait le troupeau, et la vit prendre du pain et du beurre dans l'oreille du taureau bleu. Aussitôt elle résolut de vendre ou de tuer l'animal qui faisait du bien à sa belle-fille.
Le taureau bleu eut connaissance de ce projet, et il dit à sa pâtoure :
- Ta belle-mère a le projet de me vendre ou de me tuer ; quand je ne serai plus là, tu seras plus malheureuse qu'auparavant ; mais si tu veux, nous allons partir cette nuit même.
- Ah ! oui, mon taureau, dit-elle, avec toi j'irais au bout du monde.
Elle fit un paquet de ses meilleurs habits, et tous deux quittèrent sans bruit la maison.
Ils allèrent loin, bien loin, et à force de marcher ils arrivèrent à la lisière d'un bois dont les arbres avaient des feuilles de cuivre, et ils devaient passer par un sentier qui le traversait. Avant d'y entrer, le taureau bleu recommanda à sa compagne de se garder de toucher les feuilles ; car si une seule venait à tomber, elle réveillerait des ours dévorants qui les mangeraient tous deux. La jeune fille marcha avec précaution, et ils traversèrent le bois sans avoir fait remuer une seule des feuilles de cuivre.
En continuant leur route, ils rencontrèrent un autre bois dont les arbres avaient un feuillage d'argent. Le taureau bleu avertit encore la jeune fille de se donner garde de toucher à rien, car si une seule des feuilles d'argent venait à tomber, les scorpions, endormis près de là, s'éveilleraient au bruit, et se précipiteraient sur eux pour les piquer.
Elle chemina le plus doucement qu'elle put, mais en passant près du dernier arbre, elle effleura avec la main une feuille qui en tombant à terre rendit un bruit argentin ; aussitôt on vit paraître des scorpions, nombreux comme les abeilles au sortir d'une ruche, qui montraient leurs dards menaçants. Le taureau bleu se précipita sur eux et parvint à les écraser et à préserver sa compagne ; mais il ne put échapper à leurs piqûres, et il était bien malade. La jeune fille s'approcha pour essayer de lui porter secours ; il lui dit de fouiller dans son oreille, et de frotter ses plaies avec un onguent qui y était.
En peu d'instants il fut guéri, et l'on se remit en marche : un peu plus loin ils trouvèrent une forêt dont les arbres portaient des feuilles d'or :
- Voici, dit le taureau, un endroit plus dangereux que les autres : si une seule de ces feuilles vient à tomber par terre, des lions se précipiteront sur nous pour nous dévorer.
Le bois fut traversé sans encombre, et les voyageurs se croyaient hors de danger, quand la jeune fille toucha l'extrémité de la branche du dernier arbre, et une des feuilles se détacha. Aussitôt des lions arrivèrent en rugissant, le taureau bleu se battit de son mieux pour sauver sa compagne, et il parvint à repousser les lions ; mais il fut encore plus maltraité que lorsqu'il avait écrasé les scorpions.
- Tu n'as pas assez pris garde aux feuilles d'or, dit-il d'une voix faible, je vais maintenant te laisser seule.
- Ah ! mon taureau, s'écria-t-elle en l'embrassant, ne m'abandonne pas. Où irais-je sans toi ? Je ne tarderais pas à être morte de faim et de peur. Je vais encore prendre de l'onguent dans ton oreille, et quand j'aurai frotté tes blessures, tu seras bientôt guéri.
- L'onguent est inutile, répondit le taureau ; je vais mourir. Tâche de te procurer une bêche et de creuser une tombe pour m'enterrer. Quand tu auras recouvert mon corps de terre, tu iras plus loin, et tu trouveras une maison où tu te loueras comme gardeuse de dindons. Lorsque tu auras besoin de quelque chose, tu n'auras qu'à venir ici, et à m'appeler, et je te donnerai ce que tu désireras.
La jeune fille pleura la mort de son taureau, et quand elle l'eut mis en terre, elle se remit en marche et arriva en peu de temps à la maison qu'il lui avait indiquée. Elle offrit ses services au maître du logis, et on la gagea pour garder les dindons.
Le dimanche qui suivit l'entrée en service de la pâtoure, on lui dit d'aller à la messe matinale pour rester ensuite au logis et surveiller la cuisine pendant la grand-messe.
La maison où elle était appartenait à un prince jeune et de bonne mine qui partit avec les autres pour la grand-messe. Dès qu'elle se vit seule, la pâtoure courut à la tombe de son taureau, et lui dit qu'elle désirait quelqu'un pour garder la maison pendant qu'elle irait à l'église habillée comme une belle dame. Le taureau envoya un petit lapin pour veiller à la cuisine, et il donna à la jeune fille une superbe robe de soie. Quand elle se vit si bien vêtue, elle se hâta de remercier son taureau, et partit d'un pas léger pour se rendre à l'église, où elle alla se placer de façon à être vue du prince. Celui-ci la regarda et la trouva si jolie et de si bonne mine, qu'il pensait en lui-même que jamais il n'avait vu une personne aussi à son gré, et comme il n'osait lui parler dans l'église, il résolut de l'attendre à la sortie. Mais dès qu'on se leva pour le dernier évangile, la jeune fille se dépêcha de s'en aller, et personne ne put dire au prince ce qu'elle était devenue.
Pour remplacer les vêtements de la pâtoure qui étaient vieux et usés, ses maîtres achetèrent un habit couleur de bois (1), et à cause de cela on la surnomma Jaquette de bois.
Le dimanche d'après, elle alla encore à la première messe. Elle mit son petit lapin à faire la cuisine, et elle courut à la tombe de son taureau pour lui demander un bel habit des dimanches. Il lui donna un vêtement en argent ; elle ne perdit pas de temps pour se rendre à l'église, et se plaça comme l'autre fois à peu de distance du prince. Il la trouva encore plus belle que la première fois, et pendant toute la messe il se mit à la regarder en soupirant, sans oser lui parler. Il résolut de tâcher de la retrouver à la sortie de l'église, mais un peu avant le dernier évangile elle partit légère comme un oiseau, et le prince ne put même pas savoir par où elle était allée.
Il retourna à la maison, bien triste de n'avoir pu savoir quelle était cette belle jeune fille dont il était amoureux, et il fit part de son chagrin à la Jaquette de bois qui, dès en sortant de l'église, paraissait vêtue de ses habits ordinaires, car elle pouvait quitter ses beaux vêtements quand elle le voulait :
- Mon prince, lui dit-elle, retournez à la messe dimanche prochain, et si, comme cela est probable, cette jolie personne que vous avez vue se trouve encore à l'église, ne la quittez pas des yeux vers la fin de l'office ; mais tâchez de la suivre et de lui parler : je pense qu'elle vous accueillera sans déplaisir.
Quand vint le troisième dimanche, la Jaquette de bois appela son petit lapin et lui ordonna de surveiller la cuisine, puis elle alla demander un habit au taureau : celui dont il la revêtit était tout en or. À l'église, elle se plaça comme d'habitude auprès du prince, qui n'avait d'yeux que pour elle, et ne cessait de la regarder ; mais il était trop ému pour oser lui parler devant tout le monde.
Dès que la demoiselle se leva pour sortir de l'église, il se hâta de la suivre : elle allait comme le vent, et il ne put la rejoindre ; mais en courant après elle, il la serra de si près qu'il marcha sur le derrière de sa pantoufle et la lui arracha du pied ; la demoiselle ne ralentit point sa course, et elle disparut rapidement.
Le prince ramassa la pantoufle, et il revint tout chagrin à la maison où la Jaquette de bois, vêtue comme à l'ordinaire, paraissait s'occuper de la cuisine :
- Hélas ! ma pauvre Jaquette de bois, lui dit-il tristement, je n'ai encore pu parler à cette belle jeune fille, mais voici sa pantoufle qu'elle a laissée tomber en s'enfuyant.
Le chagrin le rendit malade, et Jaquette lui conseilla de tâcher de découvrir à qui appartenait la pantoufle qui était étroite et petite. Il fit faire un grand repas auquel il invita les demoiselles des nobles et des bourgeois, en disant qu'il épouserait celle dont le pied se trouverait de la mesure de la pantoufle, mais aucune de celles qui l'essayèrent ne put même y entrer le bout du pied.
À un second repas, il invita les filles des paysans, en annonçant qu'il se marierait avec celle qui pourrait chausser la pantoufle. Parmi les invitées se trouvait une fille rusée qui se dit :
- Je veux avoir le prince, et je plierai mon pied en deux et l'attacherai de telle sorte qu'il puisse entrer dans la pantoufle.
Le prince vit bien que cette jeune fille n'était pas celle dont la beauté l'avait frappé ; mais il déclara qu'il accomplirait sa promesse. Il fit venir son carrosse pour aller se fiancer avec la jeune fille, mais au moment où elle se préparait à y monter, un petit oiseau voletait autour du prince en chantant de sa voix grêle :
La princesse souffre du pied ! La princesse souffre du pied !
- Qu'est-ce donc que j'entends ? demanda le prince.
- Ce n'est rien ! ce n'est rien ! se hâta de répondre la fiancée. Mais l'oiseau continuait à répéter :
La princesse souffre du pied ! La princesse souffre du pied !
Le prince entendit cette fois, il regarda les pieds de la jeune fille et s'aperçut qu'elle avait l'air gênée ; il lui ôta sa pantoufle qui était pleine de sang, et quand il eut découvert la supercherie, il ne voulut plus se marier avec celle qui l'avait trompé.
Il redevint plus malade et plus triste que la première fois, et un jour que la Jaquette de bois, dont le babil l'amusait, essayait de le distraire, il regarda par hasard ses pieds qui lui semblèrent petits pour une pâtoure de dindons :
-Jaquette de bois, lui dit-il, il faut que tu essayes la pantoufle.
- Non, non, répondait-elle, c'est inutile, je suis sûre que je ne pourrais la mettre.
Le prince insista et lui commanda d'obéir : alors elle ôta un de ses sabots et son pied entra dans la pantoufle aussi facilement que si elle avait été faite exprès pour elle.
Quand le prince vit cela, il s'écria :
-Jaquette de bois, c'est toi que j'épouserai.
Jaquette de bois, bien contente de se marier avec le prince qui lui plaisait, se hâta de sortir de la maison et courut à la tombe de son taureau bleu : elle lui annonça l'heureuse nouvelle, et lui demanda son habit couleur d'or qui était des plus beaux ; quand elle en fut revêtue, elle qui était belle d'avance, paraissait encore plus à son avantage.
Lorsqu'elle entra, ainsi habillée, dans la chambre où le prince était couché, il la reconnut pour la belle personne qu'il avait vue à l'église, et tout joyeux, il sauta à bas du lit pour l'embrasser. Le voilà content et guéri, et le conte est fini.
(1) Un autre de mes conteurs disait : "On lui acheta un habit de bois."


version de Péaule rapportée par Albert POULAIN
Claude LECOZ, Péaule, février 1992 et 10 janvier 1993. (K22)
Les versions existantes plus complètes se situent plutôt vers Paimpont. Les vœux de la petite fille sont toujours exaucés quand elle vient sur la tombe du taureau et siffle avec un os creux.
publié par Albert POULAIN in "Contes Et Légendes De Hte-Bretagne", édition Ouest.France-1995, page 176

C'est une petite fille qu'est avec le taureau bleu. Elle l'aimait bien, elle le gardait dans la grande "prée" et lui aussi la gardait. Oui, mais sa belle-mère ne l'aimait pas, et voulait le tuer. Un jour, elle l'a entendue dire : "C'est demain que nous le tuerons !" Elle est vite venue dans la "prée" dire à son taureau qu'on lui voulait du mal et qu'on voulait le tuer. C'est lui qui la consola. Il lui dit qu'ils allaient partir dans la forêt, car il parlait et même, quand elle avait faim, elle pouvait prendre une beurrée dans son oreille. Ce jour-là, elle prit une beurrée, et ils partirent dans la forêt.
Le taureau lui dit : "Nous allons passer un bois, là il faudra faire attention : tu te coucheras sur mon dos pour qu'aucune feuille de bronze te touche."
Ils arrivèrent au bois, la petite fille se fit le plus petit possible, maïs une feuille de bronze la toucha. Alors surgit un monstre qui se rua sur le taureau. Ils luttèrent quelque temps et le taureau le mit en fuite.
Ils arrivèrent devant un autre bois, le taureau lui dit : "Là, fais bien attention car si une feuille d'argent te touche, alors je serai obligé de me battre très dur, je risque d'avoir bien des blessures." Ils passèrent une partie du bois mais, malgré tout, dans un défoncement de terrain, ils firent un mauvais mouvement et une feuille d'argent la toucha. Alors surgit un taureau qui entreprit rudement le taureau bleu, et le mit à mal. Pourtant, au bout d'un long temps, il réussit à blesser mortellement son ennemi.
Le taureau bleu et la petite fille continuèrent jusqu'au bois noir, sinistre dans ses abords, mais dans son "mitan" tout brillait. Le taureau dit à la petite : "Cette fois-ci, nous serons sauvés ou perdus car si une feuille d'or te touche, je ne sais pas si j'en sortirai vivant."
Ils firent avec toutes sortes de précautions la traversée du bois, mais encore un mauvais fossé fit qu'une branche les toucha. Aussitôt, on entendit un rugissement et un lion énorme, d'aspect terrifiant, se dressa devant eux. Le taureau toujours courageux fonça cornes en avant, sachant bien qu'il devait toucher le premier son ennemi. Le combat dura le reste de la nuit, et quand le jour se leva, le taureau avait tué le lion, mais il était couvert de sang, se traînait lamentablement, faisait pitié à la petite fille. Il mourut.