mercredi 14 janvier 2009

Deirdre


Deirdre

Deirdre ou Derdriu, dont le nom signifie « Douleur », est une jeune fille à la beauté tragique de la mythologie celtique irlandaise.
Sa légende appartient au Cycle d'Ulster.

Le mythe



Les pleurs de Deirdre, gravure de J.H.F. Bacon (1905).

Deirdre est l'enfant du barde Fedelmid, qui vit à la cour du roi Conchobar Mac Nessa. Des faits étranges entourent sa naissance. Lors d'un festin, tous les guerriers entendent un cri déchirant qui les fait se précipiter en armes : c'est le bébé encore dans le ventre de sa mère qui l'a poussé. Le druide Cathbad prophétise l'arrivée d'une adorable fillette, si belle que beaucoup de sang sera versé à cause d'elle. À sa naissance, il réitère ses prédictions.

Tous veulent tuer l'enfant, mais Conchobar s'y oppose car il compte l'épouser quand elle aura grandi.

Effectivement, elle devient aussi belle que le druide l'avait annoncé, mais elle a fort peu d'attirance pour le vieux roi. Elle lui préfère sans doute Noise, un jeune gardien de vaches. Aidé de ses deux frères, Noise s'enfuit avec sa belle au royaume d'Alba. Ils vivent de la chasse, à l'écart dans une forêt puis se placent sous la protection du roi du pays. L'intendant remarque Deirdre et son roi le charge de lui faire la cour en secret, en son nom. Et la coquette se plaît au jeu jusqu'à ce qu'elle découvre que le roi va faire assassiner son époux.

Nouvelle fuite, nouvelle errance. Conchobar envoie Fergus chercher Deirdre, Noise et ses frères, mais leur roman d'amour a ému le cœur de beaucoup d'Irlandais. Seuls la ruse et le pouvoir magique de Cathbad vont triompher. Tous les partisans de Deirdre sont exterminés, son époux a la tête tranchée, la guerre civile déchire l'Irlande, mais Conchobar peut enfin jouir de sa promise, pendant un an.

Au bout de cette année, il la donne au bourreau de Noise, Eogan Duntracht. C'en est trop pour Deirdre, et elle se jette dans le vide alors que le char l'emmène auprès de son nouveau mari.

Un pin poussa sur chacune des tombes de Noise et de Deirdre et les deux arbres finirent par s'entremêler pour n'en former qu'un.

Deirdre dans la littérature

Trois pièces sont basées sur l'histoire de Deirdre :

  • Deirdre (1907), par William Butler Yeats
  • Deirdre of the Sorrows (1910), par John Millington Synge
  • A Cry from Heaven (2005), par Vincent Woods
Deirdre et la Renaissance celtique, par William Butler Yeats

Un roman de James Stephens, intitulé Deirdre
(1923 - Terre de Brume 2001) raconte lui aussi ce mythe.

Deirdre Variations Sur Un Mythe Celtique
Synge John Millington / Stephens James / Macdonagh Donagh
Editeur : Artus - Date : 1992

ISEULT ET SES SŒURS CELTIQUES
Essai sur la liberté du choix amoureux
Bernard FÉLIX
COOP BREIZH



DEIDRE
Traduction de L. Ponsinet
Avant-propos d’Hubert d'Arbois de Jubainville
COLLECTION POÉSIE – Classiques irlandais

Texte intégral imprimable
C’est une histoire bien ancienne que celle de Deidre : « presque aussi ancienne, et non moins belle, disait naguère A. Rivoallan, que l’histoire d’Hélène de Sparte ». « Tandis que la femme de Fedlimid traversait la maison, l’enfant qu’elle portait dans son sein jeta un cri si fort qu’on l’entendit dans le château tout entier… ». Deidre annonce sa naissance. Elle naît. Le druide annonce que l’enfant qui vient de naître fera couler des flots de sang. Aussi l’appelle-t-on Deidre, ce qui signifie, à peu près « Danger ». Le plus ancien manuscrit du Longes mac nUislenn (L’exil des fils d’Usnech) qui raconte l’histoire de Deidre, figure dans le Livre de Leinster (XIIe siècle). La traduction de L. Ponsinet, faite sur l’édition Windisch, a paru la première fois dans la Revue des traditions populaires en 1888. On y a ajouté une version française du Tochmarc Luaine, qui constitue l’une des suites de l’Exil des fils d’Usnech.

Le présent document comprend :

L’EXIL DES FILS D’USNECH
Version française du LONGES MAC NUISLENN
par L. Ponsine

LA COURTISE DE LUAINE
ET LA MORT D’ATHIRNE
Version française de Florence Thiébaut du

TOCHMARC LUAINE 7 AIDEDH AITHIRNE ANDSO
THE WOOING OF LUAIN AND DEATH OF ATHIRNE
English version by Withley Stoke

LA LEGENDE DE DEIRDRE ET DES FILS D'USNA

La légende de Deirdre et des fils d'Usna (parfois appelée La légende de Deirdre des douleurs) est une des plus populaires de la tradition orale irlandaise, et plusieurs versions en ont été écrites entre le IXe et le XIXe siècles. Dans les versions les plus anciennes, Conchobar était le père de Deirdre. On suppose que ce lien de parenté fut considéré comme trop incestueux et donc modifié dans les versions ultérieures. Cette histoire témoigne des premiers liens culturels entre l'Ecosse (encore appelée Calédonie) et l'Irlande. Les noms sont ici présentés dans leur version irlandaise. Fergus, par exemple, de son nom complet Fergus mac Roigh deviendrait Ferchar mac Ro dans une version écossaise. Parmi les premiers recueils de littérature celte, c'est un des trois contes les plus tristes d'Erinn, avec Les enfants de Lir et Les enfants de Turineann. La force du caractère de l'héroïne, Deirdre, est également un élément typiquement celtique. On observera ainsi que c'est elle qui fait des avances au héros, Naisi, et non l'inverse. Dans certaines versions, après la mort tragique de Deirdre et de Naisi, le roi Conchobar les fait ensevelir dans deux endroits distincts, par jalousie. Deux arbres poussent alors sur les tombes des amants, et se rejoignent pour s'enlacer. On retrouve la description des arbres qui s'entrelacent ainsi dans d'autres histoires d'amour, notamment dans une version de Tristan et Yseult. La version ici présentée est issue d'une traduction de Charles-Marie Garnier parue en 1969, dans un recueil intitulé Contes et légendes du pays d'Irlande (Nathan).

« Conchobar, roi d'Ulster festoyait un soir avec les chevaliers de la Branche Rouge chez son conteur favori, quand on vint leur annoncer que la femme de leur hôte venait de donner naissance à une fille d'une étonnante beauté. Le roi envoya aussitôt son meilleur druide astrologue tirer l'horoscope du petit être. Le druide alla consulter les astres, revint, se recueillit un moment et se levant, dit aux commensaux :

- Cette nouvelle-née aura nom Deirdre ou la larme. Elle méritera ce nom. Elle attirera malheurs sans nombre sur l'Ulster et l'Irlande et, pour elle, beaucoup de héros connaîtront l'exil et beaucoup la mort.

Les chevaliers furent d'avis qu'il fallait sur l'heure tuer l'enfant. Mais le roi, levant sa dextre, dit :

- Non pas. Il serait indigne de la Branche Rouge de commettre une vilenie pour esquiver des maux qui ne sont que possibles. Je ferai élever l'enfant de telle manière qu’elle sera à l'abri de tout mal. Ensuite, je ferai d'elle ma femme, prenant ainsi sur moi tout le risque.
Dans un vieux fort entouré de jardins et de hauts remparts, Conchobar fit placer l'enfant, qui n'eut auprès d'elle qu'un tuteur et la druidesse de confiance du roi, Lavarcame. Grandissant ainsi dans la solitude, elle parvint à l'âge du mariage, et elle l'emportait sur toutes les vierges de son temps par l'air réfléchi, la passion de ses yeux et la grâce de toute sa personne.

Un jour qu'il neigeait, elle aperçut du sang frais, que son tuteur venait de renverser dans la cour. Un corbeau vint le boire. Rêveuse, l'adolescente dit à Lavarcame, sa poétesse:

- J'aime ces trois couleurs et je voudrais que mon fiancé pût avoir les cheveux aussi noirs, les lèvres aussi rouges et la peau aussi blanche. Cette nuit, j'ai vu en rêve ce jouvenceau et je me demande s'il existe au monde.

- Il existe, répondit Lavarcame. Un des jeunes chevaliers du roi lui ressemble comme un frère. Il s'appelle Naisi.

Naisi et ses deux frères Aïnli et Ardann étaient les fils d'Usna, les chevaliers favoris de la Branche Rouge, courtois, accomplis dans la paix, adroits et avisés à la chasse braves et triomphants à la guerre :

- S'il en est ainsi, répondit Deirdre, je n’aurai de contentement que tu ne me l'aies amené.

- Ignores-tu le danger que tu nous fais courir ? Si le tuteur apprenait pareille chose, il la dirait au roi et le courroux royal brise tout devant lui.

Deirdre ne dit mot. Des jours et des jours, elle resta triste et taciturne, et le souvenir de son rêve remplissait ses beaux yeux de larmes. Lavarcame, qui l'aimait tendrement, prit pitié d'elle. A l'insu du tuteur, elle s'arrangea pour réunir les jeunes gens. Ils s'éprirent l'un de l'autre et Deirdre se promit de n'épouser jamais homme ou roi que Naisi.

Sans attendre que Conchobar eût vent du mariage, Naisi et ses frères, réunissant trois fois cinquante guerriers, trois fois cinquante serviteurs, trois fois cinquante femmes et trois fois cinquante limiers, s'embarquèrent secrètement pour la Calédonie. Ils furent bien accueillis par le roi du pays et enrôlés dans ses troupes. Ils gagnèrent sa confiance par leur courage et leur mérite. Par prudence, ils tenaient Deirdre à part, préférant que le roi d'ici ne la vît point.

Tout alla bien jusqu'au jour où passant devant la demeure de Naisi, l'intendant royal aperçut le chevalier et sa femme sur leur lit de repos. Il courut chez son maître.

- Sur ton ordre, ô roi, je cherche depuis longtemps une compagne digne de toi. Je viens enfin de la trouver. Deirdre, compagne de Naisi, et qui plus qu'aucune autre mérite d’être la reine du monde occidental. Débarrassons-nous de Naisi et prends Deirdre pour épouse.

Le roi eut la bassesse d'accepter et d'ourdir un complot pour égorger les fils d’Usna. Les trois frères, qui s'étaient fait aimer, furent avisés à temps. Mobilisant tous leurs gens, ils s'enfuirent une nuit sans lune et, à sauve distance, installèrent leur camp dans un district écarté, rude et sauvage.

Ils avaient grand peine à trouver dans la chasse et la pêche de quoi se nourrir. D'instinct, ils s'étaient rapprochés du rivage, qui, au loin, regardait Erinn.

Vers ce temps, le roi Conchobar donna un festin dans sa demeure d'Emain. A la fin du repas, il dit aux chevaliers de la Branche Rouge:

- Je suis heureux de vous recevoir dans ma demeure. Soyez francs et dites-moi si, à vos yeux, il n'y manque rien.

Tous furent d'avis qu'il n'y manquait rien.

- Si, reprit le roi, il nous manque les fils d'Usna. - oui, firent tous les nobles. - C'est grand' pitié de les savoir en exil et en détresse. Ils étaient le bouclier d'Ulster et c'étaient de bons camarades.

- Qu'ils rentrent donc, reprit le roi. Ils feront leur soumission et je leur rendrai leurs demeures et leurs terres.

Alors même qu'il prononçait ces paroles amies, la traîtrise était dans son cœur, car il ne pardonnait pas à Naisi de lui avoir ravi Deirdre la Passionnée.

Le festin terminé, il appela Fergus et lui dit :

- C'est toi que je charge de ramener les fils d'Usna et leur clan. Porte-leur mon message de paix et de bonne volonté. En gage de sécurité, tu te remettras toi-même entre leurs mains. Or retiens bien deux choses. Dès que tu auras remis le pied sur le sol d'Ulster, va droit au château de Barach, debout sur la falaise. Et veille à ce que les fils d'Usna ne s'arrêtent nulle part et ne prennent en Erinn aucun repas avant celui que je leur offrirai.

Ami de Naisi et de ses frères, Fergus accepte la mission avec joie, sans aucun soupçon, et part avec ses deux fils, Illann et Buinn, et son porte-bouclier.

De son côté, le roi Conchobar fait venir Barach et lui dit :

- Prépare un festin pour Fergus, à son retour de Calédonie, et invite-le avec les fils d'Usna.

Barach dit qu'il accomplirait le désir du roi.

Il faut se souvenir qu'en ces temps lointains, au moment où ils entraient dans la Branche Rouge, les chevaliers prenaient tels ou tels engagements, qui les liaient pour la vie. Ils ne pouvaient violer ces vœux sans être déshonorés et mis au ban de la chevalerie.

Or, parmis les obligations jurées de Fergus, était celle de ne jamais refuser l'invitation à un festin. Le roi et Barach ne l'avaient pas oublié.

En abordant en Calédonie auprès du campement des fils d'Usna, Fergus, en bon chasseur, poussa son appel familier. Les fils d'Usna étaient dans leurs abris. Un échiquier de bois poli gisait sur les genoux de Naisi et de Deirdre, qui faisaient une partie.

Au premier appel, Naisi tendit l'oreille et dit

- Celui qui hèle est un homme d'Erinn.

- Non point, répliqua Deirdre, c'est un Calédonien.

Quelques instants après retentit un second appel.

- C'est là certainement, dit Naisi, un homme d'Erinn !

- Non vraiment ! répéta Dëirdrée. Et qu'importe ? Continuons notre partie.

Au troisième appel, plus long et plus vibrant, Naisi se dressa et dit :

- Je reconnais la voix : c'est l'appel de Fergus! Et il envoya aussitôt son frère Ardann à sa rencontre.

Déïirdrée avait dès l'abord reconnu la voix de Fergus. Elle gardait pour elle ses pensées. Cette visite ne présageait rien de bon. Quand elle s'en ouvrit à Naisi, il lui dit :

- Pourquoi, ma reine, me le cacher ?

- Cette nuit, répondit-elle, une vision s'est glissée en mon sommeil. Du château royal d'Emain trois corbeaux vinrent nous apporter trois gouttes de miel et, en échange, fls emportèrent trois gouttes de notre sang.

- Et qu'augures-tu de cette vision ?

- Le message de Conchobar est de miel, mais son intention est de sang.

Cependant Ardann, ému de revoir ses anciens camarades, leur avait donné chaude accolade. Il les amena à Naisi et Deirdrée, qui leur offrirent aimable accueil.

- Je vous apporte les salutations du roi, dit Fergus. Si vous rentrez, il est prêt à vous rendre vos biens et vos prérogatives de la Branche Rouge.

- Il ne convient pas que le clan d’Usna rentre en Erinn, dit Deirdre. Ici il est son maître.

- La terre maternelle vaut mieux encore que l'indépendance, répliqua Fergus.

- Je suis plus libre ici, ajouta Naisi, mais Erinn est plus chère à mon cœur.

Il avait parlé sans l'assentiment de Deirdre, qui continua de combattre l'idée du retour.

- Vos amis en Ulster sont légions, dit Fergus. Même si vous n'aviez qu'ennemis, ne suis-je pas votre otage et votre garantie ?

- En toi, Fergus, conclut Naisi, nous avons pleine confiance et nous partons !

Le lendemain, un vent favorable porta leurs galères au pied de la falaise où se dressait le château de Barach. Pendant qu'on débarquait chevaux et bagages, Deirdre s'assit sur un rocher élevé, d'où elle pouvait apercevoir les bleus promontoires de Calédonie, et, dolente, elle chanta cet adieu :

Chère me restera l'âpre Calédonie,
Notre asile, et le vert penchant de ses coteaux,
Et ses glens étroits et ses tonnantes eaux
Tombant de roc en roc en blanchissante pluie !

J'aimais à sillonner ses rivières marines
En mon canot léger qui berçait mon sommeil.
Sur notre cher manoir souriait le soleil
De l'amour de Naisi, niché sur ma poitrine.

La terre où l'on aima, c'est la terre vitale
Qui vaut pour nous le sol où nous vîmes le jour,
Pour nous qui prisons rien au-dessus de l'amour,
Rien au prix de l'appel de la voix maritale !

Adieu, Calédonie, où j'ai connu la joie
D'être toute à Naisi ! cruels déchirements !
C'est lui-même qui veut, aveugle à mes tourments,
M'arracher à tes monts où la brume s'éploie !

En accueillant les exilés, Barach dit à Fergus :

- Je t'ai préparé un festin de trois jours et je t'invite à en prendre ta part.

Fergus sentit son cœur se serrer et son front devenir cramoisi. D'une voix violente, il répondit :

- C'est un plan de traîtrise. Tu sais que, d'après mon vœu, je ne puis te refuser, et tu sais aussi que je suis engagé d'honneur à conduire sur l'heure au roi les fils d'Usna, dont je réponds sur ma vie.

- Je sais, répondit Barach; mais mon festin est fumant et je maintiens mon invitation.

- Que dois-je faire... s'écria Fergus en se tournant vers Naisi.

Ce fut Deirdre qui répondit

- C'est à toi de choisir, Fergus. Plus juste est de laisser ton festin que d'abandonner les fils d'Usna dont tu es le sauf-conduit.

Fergus pausa un instant pour réfléchir et ajouta :

- Point n'abandonnerai les fils d'Usna. Je leur donnerai pour sauvegarde, sur l'honneur, mes deux fils Illann et Buinn.

- Grand merci, gronda Naisi courroucé, de leur sauvegarde ! Nous avons l'habitude de nous défendre nous-mêmes !

Deirdre, ses frères, les fils de Fergus et le reste du clan se mirent en route avec lui, tandis que Fergus restait, consterné et plein de mauvais présages.

Deirdre essaya de les faire camper en attendant la fin du festin de Barach ; mais le roi avait dit qu'ils vinssent « sans le délai d'un repas », et ils ne voulaient ni l'irriter ni, surtout, paraître lâches.

L'heure d'après, Deirdre ralentit le pas, se coucha sur un monticule et s'endormit. Quand Naisi s'aperçut qu’elle lui manquait, il revint vers elle.

- Pourquoi t'attarder, ma princesse ? demanda-t-il.

- Je suis tombée de sommeil et j'ai rêvé une vision. De nos deux compagnons, Illann prenait notre parti, mais Buinn se tournait contre nous. Et je revis Illann sans tête ; et je revis Buinn indemne et sain et sauf.

- Pourquoi toujours ces vilains présages ? fit Naisî. Le roi est franc et tiendra sa parole.

Arrivés à une heure du palais, ils firent halte et Dëirdrée parla :

- O Naisi, au-dessus d'Emain, vois ce nuage couleur de sang. Crois-moi : viens te réfugier auprès du héros Cuchullain, jusqu'au retour de Fergus, car il y a dans l'air feintise et traîtrise.

Et Naisi de répondre :

- Je ne puis, mon aimée ; ce serait marquer de la peur et nous n'avons nulle peur.

Ils reprirent leur marche vers la demeure du roi. Et Deirdre dit encore :

- Naisi, voici le signe qui te fixera sur les intentions de Conchobar. S'il vous invite à sa table, vous serez saufs, car un irlandais n'a jamais fait de tort à un hôte. S'il vous envoie à la maison de la Branche Rouge, craignez tout.

Quand la grande porte du palais s'ouvrit, Conchobar dit aussitôt à ses intendants :

- Menez les fils d'Usna, qui sont les bienvenus, et tous leurs gens, à la maison de la Branche Rouge.
Deirdre, une fois de plus, les supplia de ne pas entrer.

- Jamais, dit Illann le fidèle, jamais nous n'avons montré de lâcheté. Nous ne commencerons pas aujourd'hui.

Les gens du clan s'attablèrent et firent honneur aux mets alléchants et aux boissons qui donnent l'oubli.

Deirdre et les fils d'Usna y touchèrent à peine. S'isolant, Deirdre et Naisi demandèrent un échiquier et se mirent à jouer.

En sa demeure, Conchobar pensait à Deirdre.

- Qui veut aller à la Branche Rouge pour me dire si Deirdre a conservé la beauté qui faisait d'elle la reine du monde ?

Lavarcame fit signe qu'elle était prête à y aller.

Elle aimait les fils d'Usna et sa chère Deirdre, quelle avait élevée. Elle les couvrit de caresses, au milieu de ses larmes. Et elle leur dit

- Enfants aimés, c'est une nuit de traîtrise qui se prépare. Le roi a résolu votre mort. Tâchez de résister jusqu'à l'arrivée de Fergus et de ses hommes.

Et elle partit toute pleurante. Ses larmes séchées, elle dit au roi :

- Bonnes et fâcheuses nouvelles je t'apporte. Les trois torches de valeur que sont les fils d'Usna te sont rendus et ils te vaudront le souverain pouvoir de toute l'Irlande. Quant à Deirdre, elle n'est plus ce quelle était : ses jeunes formes se sont évanouies et la royale splendeur de son visage.

Le roi écoutait, confiant et méfiant. Sa jalousie en son cœur montait et descendait comme marée en caverne de mer.

Soudain, il appela un des chevaliers, Trendorn.

- Sais-tu, lui dit-il, qui a tué ton père en combat singulier ?

- Oui, fit l'autre. C'est Naisi qui le tua.

- Va donc à la Branche Rouge et me mande nouvelles de Naisi et de Deirdre.

Trouvant les portes et les fenêtres fermées, Trendorn prit peur. Il allait tourner les talons quand il aperçut un oeil-de-boeuf laissé entrouvert. Il grimpa sur une échelle qui lui permit de voir la grand' salle, les guerriers faisant leurs apprêts, et Naisi avec Deirdre, tous deux penchés sur leur échiquier. Levant les yeux sur son partenaire pour l'inciter à jouer, Deirdre aperçut la face qui les épiait. Elle toucha le bras de Naisi qui soulevait un pion. Il suivit la direction de son regard et visant d'un oeil sûr, il lança la pièce et creva l'oeil de Trendorn.

Hurlant de douleur et de rage, le traître dit au roi

- Les fils d'Usna siègent à la Branche Rouge comme s'ils en étaient les rois. Quant à Deirdre, elle est toujours une reine de grâce et de beauté.

A ces paroles, la jalousie de Conchobar reflamba de plus belle et il prit toutes les mesures pour que les fils d'Usna ne puissent échapper à leur destin. Il donna l'ordre à ses mercenaires d'assaillir la maison de la Branche Rouge et de lui amener les fils d'Usna, morts ou vifs.

Les murs et les huis de cœur de chêne soutinrent vaillamment l'assaut. Alors les soldats entassèrent tout autour des ronces et des piles de bois, auxquelles ils mirent le feu. Bientôt les flammes s'élevèrent de toutes parts. Les fils d'Usna tinrent conseil. Buinn, le fils aîné de Fergus, s'avança et dit :

- C'est à moi qu'il appartient de repousser le premier assaut, car je suis ici votre garant en lieu et place de mon père.

On lui ouvrit les portes et avec un noyau d'hommes choisis, il fit une sortie, occis trois fois cinquante mercenaires et réussit à étouffer les flammes. Mais il ne revint pas. Le roi lui fit offrir secrètement sa faveur et un beau et bon domaine. Buinn accepta lâchement et trahit son père et ses amis. Il n'en fut point récompensé. A cette même heure, une maladie s'abattit sur le domaine et le frappa d'éternelle stérilité : c'est encore aujourd'hui la morne lande Fuad.

Apprenant ce méchef, le second fils, Luann, le cœur navré, se leva et dit :

- Fils d'Usna, je suis, de par mon père Fergus, votre second garant. Point ne vous trahirai. Tant qu'en ma main vivra cette vibrante claymore, je vous serai fidèle. A moi l'honneur de repousser le deuxième assaut.

Les mercenaires revenaient à l'assaut et, à coups de bélier, cherchaient à enfoncer la porte. Illann l'ouvrit toute grande et, avec ses fidèles, se jeta sur les assaillants qu'ils dispersèrent sous leurs coups. Il profita du répit pour dire où en étaient les choses à Naisi qui, pour tenir haut le courage de tous, continuait calmement sa partie d'échecs avec Deirdre.

Conchobar mettait à profit cet arrêt d'autre guise. Il appela son fils Fiéra et lui dit :

- Illann et toi naquîtes la même nuit. Il a les armes de son père ; prends les miennes, mon bouclier, mes deux lances et ma claymore à lame bleue. Va, et bats-toi en homme.

Tous firent cercle pour voir aux prises les deux fils de chef. Illann l'emporta et bien que Fiéra s'abritât derrière l'écu de son père, il allait être transpercé, quand le boucher poussa un gémissement auquel fit écho la voix de la mer. Le héros Conall l'entendit sur le seuil de son fortin. « Le roi est en danger ! » s'écria-t-il, et il bondit sur ses armes.

En un clin d'oeil il fut sur place, s'ouvrit un passage et croyant que c'était son roi qui pliait sous le lourd bouclier, il porta au fils de Fergus un coup mortel. Levant sur lui ses yeux hagards, Illann gémit :

- Est-ce toi, Conall ? Est-ce ton glaive qui frappe sans savoir qui, sans savoir que je me bats pour sauver les fils d'Usna de la traîtrise de Conchobar ?

Tournant sa douleur et sa rage sur l'autre qui sortait de dessous le bouclier, Conall lui fit au loin voler la tète. Puis, il s'éloigna à grands pas, silencieux et froncé.

Rassemblant ses dernières forces, le fidèle Illann jeta ses armes dans le fort de la Branche Rouge, lanca aux fils d'Usna un dernier appel à la rescousse et, glissant sur l'herbe verte, il sentit s'obscurcir en ses yeux la lumière et rendit l'esprit.

Le siège recommença aux approches de la nuit. Durant la première veille, Ardann contint les mercenaires par une heureuse contre-attaque. Durant la deuxième veille, Aïnli prit la garde et tint l'ennemi à distance. Durant la troisième veille, Naisi conduisit la sortie et fit des mercenaires un épouvantable massacre : ils gisaient serrés comme feuilles mortes après l'hiver dans une épaisse forêt.

Ils tombaient aussi, les fidèles de Naisi, et il se demanda s'il pourrait soutenir un dernier assaut.

- Monte, cria-t-il à Lavarcame, monte vite sur le dernier rempart, et vois à l'Est si tu n'aperçois pas Fergus et ses hommes.

Quand Lavarcame revint, elle était encore plus abattue : elle n'avait rien vu que l'herbe qui verdoye et les bestiaux paissant.
Lors Naisi tint avec ses frères un dernier conseil. Après quoi, ils firent un solide rempart de leurs hommes, de leurs épées et de leurs boucliers autour de Deirdre, et, sortant en une seule masse, ils foulèrent encore aux pieds trois cents mercenaires.

Doutant de venir jamais à bout des fils d'Usna, Conchobar manda le druide Cathbad, qui avait amitié pour Naisi et ses frères.

- Ces fils d'Usna sont des braves. Mon plaisir serait de les reprendre à mon service. Toi qui es aimé d'eux, va les trouver. Dis-leur de poser les armes, de se soumettre et je leur rendrai ma faveur et toutes les prérogatives de la Branche Rouge. J'engage ma parole de roi et ma foi de chevalier.

En toute confiance, Cathbad s'acquitta de sa mission. Les fils d'Usna accueillirent ces ouvertures avec joie, jetèrent bas leurs armes et allèrent rendre hommage ! Mais à peine furent-ils sans défense que le roi les fit saisir et enchaîner. Pour trouver un bourreau, il parcourut des yeux le cercle des soldats ; mais pas un Ulstérien n'accepta cet opprobre. Un étranger du nom de Mainy, dont les deux frères avaient été tués par Naisi en loyal combat, fit signe enfin qu'il était prêt à obéir.

Alors Ardann prit la parole :

- Comme étant le plus jeune, je demande à être égorgé le premier, afin de ne pas voir la mort de mes frères.

- Moi, je suis né avant Naisi, dit alors Aïnli, je demande à être frappé avant lui.

- Mon épée, dit alors Naisi, que m'a donnée le fils de Lir, a cette vertu de ne jamais laisser inachevé le coup quelle a une fois porté. Qu'elle nous frappe tous. les trois ensemble et nous mourrons au même moment.

Et Mainy fit sauter les trois têtes du même coup.

Quant à Deirdre, elle déchira ses cheveux d'or et poussa des cris de fureur et d'affolement. Puis, enfin calmée, elle resta comme égarée, et d'une lente mélopée chanta cette lamentation :

Les lions généreux ont fermé leur paupière
Et je reste seule à gémir.

Les torches de bravoure ont éteint leur lumière
Et dans leur nuit je veux mourir.

Ils étaient mon rempart contre les loups sauvages
Et contre l'homme plus méchant.

Parfois ils me dressaient un frais lit de feuillages,
Sur leurs boucliers me couchant.

Ils m'emportaient, ils me berçaient de leurs voix graves
Dans les ravins, sous les noyers.

Ils étaient beaux, ils étaient bons, ils étaient braves,
Et je rallumais leurs foyers.

L'épieu levé, quand ils abattaient les daims fauves,
Quand ils harponnaient les saumons,

Ils exultaient, si j'admirais de mes yeux mauves
Leur œil sûr de jeunes faucons.

Par-dessus roi jaloux j'avais élu mon maître,
Mon preux, mon aimé, mon ami.

Avec lui que je perds, je m'en vais disparaître,
Deirdre, épouse de Naisi.

Que j'aimais cette vie indépendante et rude
Où chaque jour a son péril !

Où notre amour brûlant peuplait la solitude
De feux qui nous cachaient l'exil !

La traîtrise a dompté ta royale cavale,
Ta droiture dans les combats :

Je veux accompagner ton âme trop loyale,
Qui, sans moi, ne comprendrait pas.

Amis, creusez la fosse et plus large et plus creuse,
Pour nous quatre et non pour ces trois :

Deirdre y veut dormir toute sa mort, heureuse
Avec son époux et ses rois !

Quand elle eut achevé d'exhaler sa plainte, elle se laissa choir sur le corps de Naisi et tout aussitôt cessa de vivre. Ils dressèrent sur la tombe un grand cairn de pierres et gravèrent en hautes lettres ogham le nom de Deirdre et des trois fils d'Usna.»

Deirdre
Parole et musique

D’après W.B. Yeats et Lady Gregory, adapté et mis en scène par Pierre Longuenesse

Avec Anne-Catherine Chagrot, Pierre Longuenesse, Pascale Tardif
et Linda Wise
Création picturale : Jacqueline Lobenberg
Inspiration musicale de Rosena Horan et Gilles Petit

Diffusion :
Médiathèque de Saint Maurice
Maison de la Poésie de Saint Quentin en Yvelines

Avec le soutien du Théâtre des Quartiers d’Ivry
Création 2004

Présentation

Deirdre est une des figures les plus importantes et les plus connues de la littérature orale irlandaise. Sa légende est une des nombreuses variantes du mythe de Tristan. Dans les années 1900, de nombreux écrivains - Synge est le plus connu surtout, avec sa Deirdre des douleurs - se sont emparés du mythe. Ils en font le symbole de la renaissance littéraire de la nouvelle Irlande, en même temps qu’une matière inépuisable d’une rêverie sur l’amour et le pouvoir, le désir et la quête - ou la perte ? - de soi.

En préfiguration d’un projet de mise en scène de la pièce de William Butler Yeats, Deirdre, dont la création est prévue en 2006, nous nous proposons d’ouvrir un chantier autour de la figure et du mythe de Deirdre.

La petite forme présentée ici va donc chercher du côté des formes contées de la légende - le texte source d’abord, du XIIème siècle, dit “manuscrit de Leinster”, traduit par l’ethnologue d’Arbois de Jubainville à la fin du XIXème siècle ; et un texte de Lady Gregory, complice en écriture de Yeats . Un comédien-musicien raconte la légende, et sa parole fait surgir, de façon fragmentaire, des esquisses de scène jouées, de dialogues, de chants.

Un Roi déjà agé, Conchubar Roi d’Irlande, tombe amoureux de la jeune Deirdre, élevée dans la forêt par une sorcière. Il décide de l’épouser, mais quelques jours avant leurs noces, elle est enlevée par Naoise. Pendant sept ans ils errent en amants dans le monde, pendant sept ans le Roi Conchubar attend. La pièce de Yeats se concentre sur le moment de leur retour.

Rassurés par la promesse d’un pardon, confirmée par le vieux serviteur Fergus, Deirdre et Naoise ont regagné le chateau royal. Partagés entre l’espoir d’une vraie réconciliation, et la crainte du piège, ils s’épanchent longuement, seuls ou ensemble, sous l’oreille attentive et bienveillante de Fergus et de deux servantes musiciennes.

Mais la jalousie est trop forte, et Conchubar propose de ne laisser Naoise en vie que s’il disparait, et si Deirdre revient dans la demeure et la couche de l’époux renié. Deirdre, pour sauver Naoise, feint d’accepter le marché. Naoise n’en est pas moins assassiné dans une antichambre. Conchubar se croit vainqueur, mais Deirdre use d’une ultime ruse. Obtenant d’adresser un dernier adieu en privé au mort, elle se tue à ses côtés, laissant le vieux Roi à sa folie et sa solitude.

Les auteurs

William Butler YEATS
Né près de Dublin en 1865, W.B.Yeats est issu d’une famille protestante irlandaise - son père est peintre et ami des derniers pré-raphaélites. Après des études à Londres et une formation artistique à Dublin, il s’intéresse au théâtre, et s’intègre au mouvement de la renaissance littéraire irlandaise. Il fonde avec Lady Gregory l’Abbey Theatre de Dublin dont la renommée devient considérable. Il compose alors de nombreuses pièces où le folklore légendaire, le mysticisme et la magie se fondent en un vaste souffle poétique. Après La Comtesse Cathleen (paru en 1892) et Le Pays du désir du coeur (The Land of Heart’s Desire, 1894), il faut citer Les Ombres sur la mer (1900 puis 1906), Deirdre (1907), ou encore des œuvres conçues sous l’influence du nô japonais : Quatre Pièces pour danseurs (Four Plays for Dancers, 1921). Il est élu prix Nobel de littérature en 1923, et meurt en France, où il s’est installé les dernières années de sa vie, en 1939.

Lady Augusta Gregory
Née à Galway en 1852, elle fut très tôt veuve d’un gouverneur de Ceylan, et s’engagea alors activement dans le mouvement du renouveau littéraire Irlandais, au côté de Yeats et Synge. Elle fit ainsi de son domaine de Coole Park, près de Galway, le lieu de séjours de toute une génération d’écrivains, et publia elle-même plusieurs recueils de récits et légendes traduits du gaélique, et une trentaine de pièces de théâtre, dont les plus importantes (notamment une version de Deirdre, ou encore Le lever de la lune, ou La pomme d’or) furent représentées à l’Abbey Theatre. Elle traduisit aussi des œuvres étrangères, notamment Molière. Elle meurt en Irlande en 1932.

Commentaire

Femmes, si je meurs cette nuit, quels mots choisirez vous ? (…)
Yeats, Deirdre

Contrairement à Synge, son contemporain, Yeats n’envisage pas la légende de Deirdre de façon colorée et populaire, et en fait une tragédie celtique centrée sur la parole, où les protagonistes sont encadrées par des musiciennes-bardes-voyageuses, porteuses de magie poétique : Le destin de Deirdre et de Naoise est de mourir, pour entrer dans la légende, et ré-exister d’une vie plus forte à travers la parole et le chant du poète et du barde.

Deirdre, Hélène irlandaise, n’est donc pas seulement une femme qui par sa beauté extraordinaire réveille la violence et fait imploser l’ordre du monde. C’est aussi une créature mi- réelle mi-surnaturelle, qui vit son destin tout en le verbalisant, et fait de sa passion un chant épique. Même si notre première esquisse de spectacle sur le mythe se détourne de la pièce de Yeats pour explorer ses sources, c’est cette importance accordée à la parole poétique qui nous a guidés dans notre travail. Nous avons donc gardé ces figures de musiciennes, à la fois protagonistes et messagères de l’histoire, et cherché à faire entendre un récit qui se met en scène.

L’Irlande a une façon qui lui est propre de mêler les vivants et les morts. Les morts sont la mémoire, et ainsi plus vivants que les vivants, qui ne trouvent sens à leur vie que dans la relation à cette mémoire : les légendes ne sont pas des histoires mortes, parce qu’elles sont encore en nous, et que nous sommes, dans les secousses profondes de notre vie, ces légendes sans cesse ré-écrites. La vie et les récits se mêlent alors dans une mise en abime sans fin, chaque vie se faisant progressivement légende pour les suivantes, par une lente sédimentation de la mémoire.

Enfin, c’est ce travail sur la parole qui, à un siècle de distance, établit un pont entre les recherches des trois complices de l’Abbey Theatre qu’étaient Yeats, Synge et Lady Gregory, et nos réflexions d’aujourd’hui qui, de Blanchot à Novarina, font du langage l’un des lieux par excellence de l’expérience intérieure.

DEIRDRE. Irlande.

Deirdré est l'Irlande même, dans ses malheurs et son héroïsme historiques.

Fille de la femme de Fedelmir, conteur de Conchobar, elle se met à crier alors qu'elle est encore dans le ventre de sa mère.

Le druide Cathbad prophétise qu'une femme « aux boucles blondes, aux superbes yeux gris-bleu, aux joues pourpres comme la digitale, aux dents de neige d'hiver naîtra: mais pour elle, les hommes se battront, des meurtres auront lieu parmi les guerriers ulates, et que le malheur s'abattra sur l'Ulster à cause d'elle»; cette femme est Deirdré dont le nom signifie Danger. Conchobar la fait élever chez lui, recluse; Leborham, magicienne et femme de confiance de Conchobar, s'en occupe en secret.

Un jour - et c'est la vision de Deirdré - elle voit un corbeau sur la neige en train de boire du sang; elle décide que l'homme à qui elle se destine aura ces trois couleurs: « l'homme que j'aimerai aura les cheveux noirs comme le Corbeau, la joue rouge comme le sang, la peau blanche comme la neige ». Leborham lui apprend que cet homme existe: c'est Noisé, un des fils d'Unesh.

Deirdré s'offre à lui, mais il refuse, car Conchobar l'a choisie comme future épouse; elle lui jette un geis qui l'oblige à l'enlever avec ses frères; ils s'échappent de chez Conchobar puis au roi d'Ecosse qui la désire également. Mais Conchobar la reprend; Noisé est tué par Logan Mané Main Rouge après un enchantement de Cathbad et une traîtrise de Conchobar qui provoque la « révolte » de Fergus, Dubtach et Cormac. Deirdré reste un an auprès de Conchobar, prostrée, dépérissant; il la livre à Logan, assassin de Noisé; pendant que Conchobar l'emmène, Deirdré se jette de son char sur un rocher et se suicide.


Dictionnaire de Mythologie Celte
Jean-Paul PERSIGOUT
Éditions du Rocher, Monaco, 1985

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